CINQ SEMAINES DANS L’ENCLAVE DE CEUTA AVEC LES MIGRANTS : REPORTAGE PHOTO

CINQ SEMAINES DANS L’ENCLAVE DE CEUTA AVEC LES MIGRANTS : REPORTAGE PHOTO

Ceuta, enclave espagnole au nord du Maroc, morceau d’Europe en Afrique, territoire soigneusement protégé par  un grillage de six mètres de haut, sur plusieurs kilomètres, surveillé nuit et jour par des bataillons de soldats espagnols.

Ce qu’on appelle communément un mur. Chaque année, des centaines de migrants se démerdent pourtant pour contourner cette barrière. Ils passent  en général par la mer, et risquent leur vie dans des bateaux gonflables – ou à la nage pour les plus pauvres d’entre eux, avec des chambres à air de pneu en guise de bouée. L’entrée dans Ceuta marque souvent une étape forte, d’un long voyage extrêmement physique censé les mener à l’Europe.

Ils viennent des quatre coins de l’Afrique, et ont au moins tous traversé le Sahara, craint les passeurs en Algérie et essuyé les coups de la flicaille marocaine.

Mais une fois à l’intérieur de l’enclave – parfois après dix tentatives avortées – c’est la léthargie qui succède à la lutte physique. Ils ont beau être en Europe, Ceuta ne fait pas partie de l’espace Schengen, ce qui les condamne à attendre que l’état espagnol statue sur leur cas, soit en demandant à leur pays d’origine de les rapatrier – ce que lesdits pays ne font pas toujours – soit en les acceptant sur son territoire.

A vrai dire, j’ai eu l’occasion de parler à plusieurs reprises de Ceuta, que ce soit dans ces colonnes ou celles d’OWNI, et une fois n’est pas coutume, je ne vais pas écrire un article de six pieds de long.

J’y suis allé à deux reprises avec mon compère Jonathan Millet. On a fini par y rester cinq semaines cet été, en immersion totale avec ces migrants, ces « aventuriers » selon la terminologie dont ils se sont affublés.

Nous avons tourné un documentaire à cette occasion, un film intitulé « Ceuta douce prison » qui résume la situation d’attente interminable à laquelle ils sont soumis à l’intérieur de ce confetti balnéaire espagnol. Je vous propose donc une plongée avec une quinzaine de photos légendées pour vous imprégner de l’atmosphère parfois dégueulasse, mais parfois pleine d’une drôle de grâce qui règne dans ce bout d’Europe claquemuré.

NB : le documentaire est aujourd’hui en cours de production. Il devrait sortir dans le courant de l’année 2012. Vous pouvez découvrir le projet en détail sur la page KissKissBankBank qui lui est dédié et nous aider un peu en faisant un don financier.

(Pour voir les photos en grand format – ce que je recommande fortement – cliquez dessus)

Le CETI signifie centre de séjour temporaire pour immigrants. Les migrants en question peuvent y entrer et en sortir librement entre 7h et 23h. Pas besoin de centre fermé à Ceuta, c’est la ville toute entière qui fait office de centre de rétention.

Guy, un Gabonais de 26 ans bloqué dans Ceuta depuis trois mois, a écopé d’une punition par la direction du CETI pour une sombre histoire de vol de téléphone. Il est tenu de balayer la route qui mène au centre une heure par jour pendant une semaine. Il y voit surtout une occasion de déconner avec ses potes, et de siffler des bières en « travaillant ».

Farat est un Syrien qui était à Ceuta depuis plus de deux ans quand on l’a rencontré. Pendant des semaines, on a senti le désespoir sourd d’un mec qui regrettait d’avoir choisi de passer par Ceuta pour rejoindre l’Europe. Sur cette photo prise devant l’entrée du CETI, quelques jours avant notre départ, il jubile : il a appris la veille que le gouvernement espagnol le laissait rejoindre la péninsule, libre.

Quand ils ne trainent pas au CETI, les migrants essaient tant bien que mal de trouver un peu de « boulot », ce qui consiste généralement à aider les locaux à garer leur voiture, sorte de mendicité déguisée. Ici, Simon, un Tchadien de 23 ans en pleine action.

Le centre-ville étant situé à pas loin de cinq kilomètres à pied du CETI, les moindres déplacements requièrent de longues marches dans des endroits parfois éminemment cinématographiques. Ici, les entrepôts de marchandises à proximité du port de fret.

Trouver de quoi s’occuper, quand on a pas le droit de travailler, pas le droit de sortir de Ceuta. Pour la majorité d’entre eux, enquiller les bières devient bien souvent une activité fédératrice, un pilier du quotidien. Eric, un Centre-africain de 18 ans, prend du bon temps le long de la promenade maritime de Ceuta et pointe son doigt vers Gibraltar, quinze kilomètres et un détroit maritime plus loin.


Marius, 27 ans, Tchadien. Un des personnages principaux du documentaire avec Guy et Simon. A la différence de pas mal d’autres, il s’en sort plutôt bien avec un travail d’entretien rémunéré entre 10 et 20 euros la matinée, deux fois par semaine, à l’église. Il espère rejoindre son frère, déjà en Espagne, à Valencia.

Les migrants trainent hors du CETI tant que possible. Situé sur un terrain militaire, le centre est entouré de forêt de toute part. Véritable second lieu de vie, les mecs ont par conséquent tendance à y trainer énormément, pour picoler, pour rigoler, autrement dit pour se changer les idées…

… et comme ils détestent la bouffe qu’on leur sert à l’intérieur, leurs repères en forêt – les « tranquilos » – font aussi office de bar-restaurant où l’on peut acheter des bières à 50 cents l’unité, et où l’on peut manger quelques spécialités congolaises ou camerounaises.

Les moments passés en forêt sont aussi l’occasion de ressasser les rêves d’Europe, de panser les cicatrices de voyage. Beaucoup de migrants se sont déjà croisés en  chemin, dans le désert du Niger, les ghettos de l’Algérie ou les forêts marocaines, avant de se retrouver à Ceuta. Guy (à gauche), Christian (au centre), Marius (à droite) et Patrick (derrière), se remémorent la violence de « l’aventure ».

Tous ne passent pas par la mer. « Cousin », le Congolais avec sa petite-fille de deux ans ont payé un passeur qui les a caché dans une voiture pour rentrer dans Ceuta. A leur gauche, ce type dont j’ai oublié le nom porte sur son visage les stigmates de deux ans et demi d’enfermement et d’abus d’alcool à Ceuta.

L’alcool toujours. Alors que Marius est en train de pêcher des poissons qu’ils partageront plus tard en forêt, Simon et Christian s’affairent à mélanger du mauvais vin en brique avec du Coca, sous le regard du petit Joakim, 16 ans à peine. Ils ne le savent pas, mais cette mixture – appelée calimotxo – est une infamie éthylique pourtant adorée des ados espagnols.

S’il y a un état qui colle à la peau des migrants de Ceuta, c’est bien l’apathie. Sans droit formel de travailler, sans réponse possible quant au temps qu’ils passeront dans l’enclave, et loin de leur famille, tous ou presque sont sujets à la dépression…

… et les jours finissent par tous se répéter inlassablement. Christian, le regard dans le vide, passe une énième matinée en forêt à rêver d’Espagne, à fumer des clopes pas chères, au milieu d’un des « tranquilos » en forêt, détruit quelques jours plus tôt par les militaires dans le cadre d’un exercice d’entrainement.


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